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Accommodements raisonnables

Pourquoi le malaise persiste-t-il?

par François-Nicolas Pelletier

En avril, le magazine UdeS a organisé une table ronde sur le thème des accommodements raisonnables. Constat : le malaise entourant le débat n'est pas prêt de disparaître. À lui seul, il concentre presque toutes les sensibilités du Québec moderne.

Le jargon juridique entre rarement dans le langage courant. C'est pourtant le cas des « accommodements raisonnables », qui sont devenus un des sujets les plus chauds des trois dernières années au Québec. Ils font l'objet des articles de presse les plus commentés par les lecteurs. La controverse est vigoureuse et, deux ans après la remise du rapport Bouchard-Taylor, elle dure toujours.

Même le projet de loi 94 déposé à la fin mars par le gouvernement Charest - projet qui vise à établir les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'administration gouvernementale et dans certains établissements - n'y a rien changé. Bien que l'article 4 affirme l'égalité des sexes et la neutralité religieuse de l'État, plusieurs soutiennent que le projet ne règle en rien la question de la laïcité de l'État ni le port de signes religieux dans la fonction publique. Bref, le malaise persiste encore et toujours. Pourquoi?

Un débat vaste et flou

Peut-on parler d'accommodements raisonnables sans aborder la question de l'immigration, ou celle de l'identité? Autour de la table, on ne s'entend pas sur les termes. Selon Marie-Michelle Poisson, du Mouvement laïque québécois, il faut limiter le débat à la question de la laïcité des institutions publiques et ne pas la mélanger aux enjeux d'identité et d'immigration. « Au Mouvement laïque, on a fait des mises en garde pour éviter les dérapages racistes qu'on observait dès le début de la controverse. » À ses yeux, la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles (commission Bouchard-Taylor) a alimenté la confusion en abordant une multitude de thématiques.

Auteur de La dénationalisation tranquille, Mathieu Bock-Côté estime, quant à lui, que les accommodements raisonnables sont au cœur d'une crise profonde. « C'est une crise symptomatique d'une tentative forcée, depuis 15 ans, de reconstruire l'identité québécoise selon les paramètres du multi ou de l'inter-culturalisme.?» Pour lui, les élites intellectuelles et politiques (y compris les souverainistes) ont voulu amender le Québec à la suite des déclarations de Jacques Parizeau sur l'argent et le vote ethnique faites le soir du référendum de 1995. Difficile, donc, de parler d'accommodements sans aborder le débat sous-jacent sur l'identité québécoise, qui est, selon lui, le vrai débat de fond.

Sébastien Lebel-Grenier, professeur à la Faculté de droit, estime pour sa part que le débat social a débuté sur les mauvaises bases. « Les cas qui ont été soulevés à l'origine et qui ont lancé la fureur ne relevaient pas du principe juridique des accommodements raisonnables, mais étaient plutôt des cas de bon – ou de mauvais  - voisinage. » Cette situation, récupérée sur la scène politique à des fins partisanes, a nourri une « tempête médiatique. » Sébastien Lebel-Grenier reconnaît toutefois que la persistance du débat révèle une crise identitaire qui est significative sur le plan sociologique et qui mérite qu'on s'y attarde.

Bref, plusieurs ingrédients mijotent dans la marmite. Et remettre le couvercle ne contribuerait qu'à faire monter la pression. Serait-ce seulement possible? Il faudra vraisemblablement « s'accommoder » d'un débat vaste, dont les contours souvent flous lui promettent une grande longévité…